Hors-champ – Hors-cadre : qui regarde ?
23èmes Rencontres Internationales Traverse, Hors-champ – Hors-cadre : qui regarde ?
Sans doute, une proposition qui impose moins des contraintes aux œuvres, qu’elle n’interroge la réception de celles-là et l’espace qu’elles ouvrent ainsi.
On dit œuvres à l’heure de la dématérialisation alors même que déjà l’image vidéo était de passage, celui de l’électricité en lignes paires et impaires et que, auparavant, aller contre l’objet marchandisé-standardisé était un des mots d’ordre de l’expérimental et que la performance est dans le moment où elle est… et que dire du créé numériquement…
L’on dit œuvres parce qu’il y a opera, travail, action mais alors que cela devrait simultanément induire à reconnaître qu’il y a œuvre parce que quelque chose a lieu, là, devant moi qui regarde… l’on s’empresse le plus souvent à le denier en répétant à l’envi que l’on peut dire ce que l’on veut de la dite œuvre parce qu’on le ressent. Il y a œuvre si cela résiste, ainsi on ne peut qu’élaborer une lecture qui la prenne réellement en compte et non qui la confond avec le test projectif d’analyse psychologique des « taches de Rorschach ».
Deux termes distinguent cependant nettement les deux domaines de la création et de la réception : le « hors-champ » qui en vidéo – du moins narrative – peut à chaque changement de plan, axe… se découvrir dans l’autre côté à la fois inscrit et recouvert par ce qui ouvert au visible et le « hors-cadre » de l’extériorité absolue de ce champ créé… il est de la production, de la composition, de la réception de ceux qui font, qui reçoivent.
Ainsi le protagoniste ni le portrait ne nous regarde/nt même si l’artiste provoque cet effet d’appel, de relation voire de complicité…
La performance serait notre étalon actuel : quand réclame-t-elle que cela qui est alentour du corps performatif s’approche en happening et plus encore à quoi se perçoit cette possibilité de transgression du hors-cadre avec le champ.
Cependant l’histoire des arts lance de tels signes concernant le franchissement. Ainsi Les Ménines : alors que, par définition, l’image visuelle fixe, n’inclut pas de hors-champ, le regard adressé du peintre implique le sujet qu’il peint sur le grand tableau à la face inaccessible pour nous, alors que le tableau peint accordé à nos yeux, inclut ceux qui gravitent autour de lui et ne seraient pas le sujet de son tableau enchâssé. Son sujet : le roi et la reine dans son hors-cadre – celui de la pose – parviennent au champ du tableau par le miroir accroché au mur du fond de cette salle-atelier et musée.
Ainsi du cinéma qui lui instaure le hors-champ dans le toujours potentiellement visible du film, qu’un changement d’axe ou une couture de montage entraînent dans le visible ainsi rappeler les scènes premières de téléphone où l’interlocuteur est hors-champ ou en polyvision ou de poursuivant/poursuivi. Cependant, certains films fracturent cette illusion, quand réflexifs, ils importent la question du cinéma comme création, composition, écriture et non comme simple relevé de la réalité. Ainsi Godard cite Monika de Bergman, de 1953, le plan qu’il a qualifié de « plus triste de l’histoire du cinéma », celui qui intègre le regard de la très jeune femme éponyme du titre, qui a abandonné bébé et mari, et qui, dans un café, lance ce regard non motivé par la diégèse dans sa discussion avec son jeune amant, puisque celui-là est placé de l’autre côté de la table du bar où elle vient d’aller glisser une pièce au juke-box et un second plan tout aussi adressé, celui où assise sur son lit, chez elle, elle tourne la tête en effet de hors-cadre.
Cet effet implique… Il implique le au-delà du champ comme il le fait dans l’explicit des 400 Coups, de Truffaut, qui, en 1959 provoqua un même bouleversant appel au point de vue : le jeune adolescent ayant couru jusqu’à la mer qu’il n’avait jamais vue, s’est enfui de la maison de redressement. Le dernier plan en un zoom s’avance jusqu’à son regard pointé.
Le réveil de l’illusion figurative du M.R.I. – Mode de Représentation Institutionnel – n’est plus si rare et parce qu’il rejoint notre proposition, succomber à citer à nouveau Godard, le fondateur et l’emblématique regard dans Pierrot le fou – de Ferdinand qui, alors qu’il conduit, se tourne, commentant les désirs de sa compagne Marianne : « Voyez, elle ne pense qu’à rigoler ! » Elle : « À qui tu parles ? » Lui : « aux spectateurs ! » – brise l’espace confortable de la fiction fermée et provoque le retour réflexif sur le film se faisant.
Et certes, la programmation 2019 de Traverse a aimé de telles interrogations : de Cindy Cordt attendant les mèches de cheveux de son public qui n’y répondit pas ; ainsi de Tales Frey et de Paulo Aureliano da Mata dont F2M2M2F X 6 implique des miroirs embrassés qui incluent ceux qui regardent les baisers se faire ; ainsi, en photographie Laurie Joly perturbant la limité par des textes perturbés par le cadrage de son travail photographique, trace du performatif ; ainsi S’élever, c’est d’abord être à terre de LAC Project dont l’un des concepteurs-fabricateurs danse en son champ ainsi que son « mécène » à l’instar des « donateurs » des retables de la Renaissance ou encore Yoan Robin dont Les Promesses d’un récit inclut dès son projet que l’autre en hors-cadre participe à la re-création de son champ et sans s’attarder plus longtemps, renvoyer à l’envolée de plaisir à la partition lyrique de AAA (Mein Herz) dont la voix d’un visage adressé ainsi que le regard de Méduse sidère…
Les propositions souhaitées peuvent ignorer totalement la limite comme question ou au contraire la prendre comme centre de leur écriture, elles peuvent « feindre » de dialoguer avec le hors-cadre… et qu’elles interrogent ce qui fait qu’elles font œuvre serait bienvenu.
**Installations **
Kuan-Yuan Lai – The Train Hamasen
Jean-Paul Espaignet – Le Balayeur
André Goldberg – _La volière _
Pablo-Martín Córdoba – Postdigital flipbook
Usurla San Cristobal – Public Intimacy
Usurla San Cristobal – La memoria de un oido
Gaël Tissot – Nexploria