Histoire de verre
Conférence par M. Romain Glorieux, verrier d’art
Mardi 11 octobre 2022
C'est un après-midi de plein hiver, froid et gris. Dans l'atelier de Romain Glorieux, refroidi par la glaciale mi-janvier, les fours de cuisson dorment. Sur son plan de travail, bée une coquille de plâtre, vestige d'une œuvre en pâte de verre. Derrière, le quadragénaire gaillard, blond et barbu, aux airs de viking – une comparaison rebattue dont il ne s'ombrage plus.
Précautionneusement, une à une, il dépouille ses créations de leur lange de polyéthylène à bulles : des « fragments d'âme », dit-il, fixés dans le verre, matériau immarcescible. L'éternité tutoyée : par l'artiste qui saisit l'éphémère instant de matière et d'oxydes livrés ; chez l'objet même, voué à une perpétuité, à enjamber générations et siècles – qui sait ? Géodes, Carènes, Érosions : à chaque type sériel de formes son nom : boule creusée et ouverte ; triangle en forme de voile ou de grand silex ; arrondi de croissant de lune où saillent des arêtes. Et de constantes : une face âpre et mate, l'autre polie et translucide ; un dehors rugueux et un dedans profus de formes qui excitent l'imagination. Les pièces ont allure d'astres ardents lointains ou de formations rocheuses inconnues – présences coites, habitées d'un mystère sans nom, beautés tombées d'un outre ciel de merveille : l'esprit en arrêt, l'œil s'intrigue et l'esprit cherche bientôt sens et raison.
C'est que, allusif et d'une plasticité qui subjugue, le verre absorbe et (se) joue de la lumière, cette « quatrième dimension » propre à lui seul, qui anime d'une vie changeante tout le cosmos de hasard ici enclos. Les pièces de Romain Glorieux convoquent l'imagination, évoquent résine épaisse, roc écorché et magma, précipité chimique et souffle de l'air. « On n'est plus dans le verre ; on est dans le minéral », suggère l'artiste. L'apparence surmontée, la rêverie pure éclate, délectation sans concept, libre jeu de la sensibilité.
De cet art, tout de patience – dans la conception comme dans la contemplation silencieuse –, sourd quelque chose de profondément humain, de réfractaire à l'insane frénésie du temps présent, qui indexe la vie au rythme des machines. L'atelier alors acquiert sa dimension de thébaïde, l'art son évidence de pratique méditative, l'œuvre celle de support contemplatif. Il est aisé d'entendre alors l'artiste affirmant : « Ce travail, c'est ma vie : sans lui, je n'existe pas ». ©