Circuit : AISTHESIS ou PATHOS, choisir son camp !
La question des 5 sens occupe tout le champ de la philosophie depuis l'antiquité grecque, lorsque Platon met en cause leur fiabilité en opposant sensible et intelligible. Puis, par son disciple Aristote qui réhabilitera leur témoignage en s'appuyant sur la puissance du syllogisme, de nombreux émules péripatéticiens partiront traquer toute falsification, pour aboutir aux sciences empiriques modernes, en passant par la philosophie des lumières objectivant l’étendu du monde par la raison encyclopédique.
Les limites de notre perception sensorielle seront palliées par toutes sortes de prothèses allant du microscope électronique au télescope géant, en passant par l’IRM ou le décodage génétique ainsi que tout autre représentation algorithmique promise à un vaste développement avec l’intelligence artificielle.
Cette quête de la loi cachée derrière les limites du supra sensible nous amène à accorder plus de crédit ou d’intérêt pour ne pas dire de foi, à nos représentations plutôt qu’à la perception directe des phénomènes par nos trop simples sens d’humain, pour le coup « diminué » face à tout cet arsenal technologique bien plus performant !
L’homme rivé à son écran a-t-il oublié le lien entre sapiens et sapidité ? Devra-t-il lécher son écran pour comprendre que sa perception papillaire est d’un autre ordre cognitif que sa perception rétinienne ?
Les trois autres sens, délaissés par l’entreprise de conversion audiovisuelle et ses claviers alpha-numérique ou ses froids écrans dits « tactiles » , s’adressent directement à notre pauvre corps, toujours plus en souffrance devant cet impérialisme de la distanciation et de l’objectivation. Ils nous offrent d’autres principes de réalité, sur d’autres modes : l’odorat, le goût et le toucher nous enveloppent et nous pénètrent. Même le son, lorsqu’il n’est plus réduit à la situation frontale du triangle stéréophonique ou sorti d’un minable téléphone mobile, prend toute son ampleur enveloppante avec les concerts d’oiseaux printaniers tous azimuts, bien loin des bruits et turpitudes insupportables de nos agitations urbaines.
Et si le jardin d’Épicure n’avait pas négligé la saveur du savoir ? Il semblerait que les ascètes épicuriens -à l’opposé de la caricature que l’histoire en a fait- en recherchant l’ataraxie, c’est à dire l’absence de trouble, liés au pathos que l’on subit, visaient les pleins plaisirs esthétiques, par l’éveil des 5 sens, puisque c’est la signification même du mot aisthesis, avant que l’Esthétique ne cantonne sa discipline à l’idée du beau, c’est à dire sentir en étant actif, en tension, avec ardeur, tandis que pathos désigne la sensation en étant passif et soumis (cf passion).
Chaque saison au jardin offre, carpe diem, son lot de réjouissances pour tous les sens, sans hiérarchie. L’épicurien peut tomber en extase avec un simple morceau de fromage aux fines herbes. Bien sûr, il saura faire la différence entre les herbes, en évitant prudemment les poisons. Celui qui a humé, goûté et qui n’est pas mort, sait. Les sens ne nous trompent pas, les hommes comme les animaux le savent. Les ovins rejettent les ronces, les chardons et les orties tandis que les caprins s’en régalent.
Le monde des plantes offre un large éventail sensoriel. Tels les épicuriens, nous partirons à la découverte aisthésique des subtilités de leur goût, odeur et texture. Nous remplirons un panier et, pour ceux qui veulent rester diner, nous réaliserons une délicieuse cuisine sauvage, bien loin des goûts standardisés de nos étals de supermarché !