Des feuilles au croisement du moi et du monde
La grande production d’herbiers qui occupa Jean-Jacques Rousseau pendant les dernières quinze années de sa vie reflète, comme il l’explique dans ses Rêveries, un doublement de la forme du journal intime, dont les “feuilles ne seront proprement qu’un journal informe de mes rêveries”. Ces “feuilles” qu’il rassemblait aussi dans ses herbiers, lui servent également de moyen de revivre des moments de son passé, comme il l’explique à la fin de la “Septième Promenade”. En même temps, sa pratique de botaniste montre à quel point ses herbiers s’inscrivaient dans le champ de ses échanges sociaux, avec ses amis ainsi que la communauté de botanistes. Qui plus est, et malgré ses réticences au sujet de la botanique “exotique”, ses herbiers sont un moyen de représenter le monde par le biais du microcosme.
C’est ici que le croisement avec Alexander von Humboldt s’opère: pour cet homme de science et de lettres prussien, contrairement à Rousseau, la botanique exotique et aussi utilitaire n’était nullement exclue. Dans son travail de naturaliste, les plantes deviennent une manière de réfléchir à l’interconnexion de tout, du monde organique lui-même (dont l’homme) et de toutes les méthodes de le percevoir et de l’appréhender (Vues de la nature). En même temps, l’analyse de leurs habitats, que Rousseau notait aussi mais le plus souvent à des fins personnelles, affectives ou locales, sert pour Humboldt de moyen de construire une vision globale des habitats du monde, comme le montre sa célèbre Naturgemälde ainsi que ses archives de botaniste.