AVONS-NOUS BESOIN D’UNE ORTHOGRAPHE ?
En France, la question de l’orthographe est un sujet très sensible. Tout le monde se sent le loisir et la compétence de proposer, sinon d’imposer, sa propre façon de voir la chose. Il s’ensuit un bruyant chaos, un affrontement véhément, une véritable guerre de religion où l’argument tourne vite à l’invective et la sérénité de l’échange à une intolérance aveugle et forcenée.
On a parlé en même temps qu’on a pensé, mais on a parlé avant d’écrire : le propos premier de l’écriture est de transcrire de la parole, orale et volatile, sur un support pérenne de façon à pouvoir conserver le message et le reproduire à satiété. Il en va de l’écriture et de la langue comme de la partition et de la musique. Tout comme la notation musicale, l’écriture est une approximation et ne peut guère rivaliser, en matière de fidélité, avec l’enregistrement audio ou vidéo, lequel à tout prendre n’est pas non plus la copie conforme ni du discours ni du concert.
Les langues, en permanente gestation, le sont sous la pression des nouveaux besoins de leurs locuteurs. Pourtant l’influence exercée par les usagers n’est pas de nature délibérée, elle procède organiquement et se soustrait à toute législation
L’orthographe n’est pas la langue et il serait funeste de réduire par exemple la pratique d’une langue à la maîtrise de son orthographe. L’écriture, un peu comme la cartographie des géographes, est la projection d’une réalité vivante, l’image qu’on en fabrique à un certain moment pour des raisons pratiques, et l’orthographe est l’ensemble des principes selon lesquels s’opère cette projection.
L’élaboration et la tenue à jour d’une orthographe fonctionnelle, raisonnée, univoque, normative et contraignante, serait assurément un grand service que le linguiste rendrait au monde des médias et de l’édition ainsi qu’aux esprits curieux désireux de parfaire et la graphie et l’usage d’une langue. Et ce serait aussi un bienfait pour tous ceux dont la vocation est d’écrire.