Ruines de ruines. Matérialité et immatérialité des ruines dégradées 2/2
On s’interrogera ici, dans le sillage des travaux fondamentaux d’Alain Schnapp, particulièrement son Histoire universelle des ruines, sur une catégorie bien spécifique des ruines. Celles qui, alors que leur statut de ruine monumentale, digne d’être préservée, était établi, font l’objet d’une destruction. Il y a tout d’abord le temps long qui transforme un monument insigne en ruine ; vient ensuite le temps de la préservation qui tente de les arrêter dans un état précis. Vient parfois ensuite un acte qui vient les ruiner davantage, jusqu’à les faire disparaître. Trop nombreux sont les exemples de ces destructions volontaires de ruines qui formaient une part considérable de l’imaginaire et du patrimoine mondial. L’actualité récente ou même le présent en donnent de très nombreux exemples, des Bouddhas de Bâmiyân aux temples de Baalshamin ou de Bêl à Palmyre. L’histoire même de ce type bien précis de discussions, qui ne touche pas le monument, mais le vestige, mérite d’être approfondie. Le pouvoir de ces monuments chez ceux qui s’en emparent en les détruisant, comme celui des images de ces mêmes destructions n’est jamais qu’une nouvelle déclinaison de l’iconoclasme –– ou de l’iconoclash dont traitait l’exposition programmatique de Bruno Latour et Peter Weibel au Zentrum für Kunst und Medientechnologie à Karlsruhe en 2002.
Cette question, où se croisent l’histoire du patrimoine et celle de l’iconoclasme, engage également des problèmes de matérialité et d’immatérialité. Questions épistémologiques tout d’abord. Quel peut-être le statut monumental des ruines extrêmes et terminales que sont ces nouveaux monuments dévastés, réduits à de la poussière ou à des décombres dérisoires ? Comment documenter l’histoire de ces monuments et leurs états successifs, à l’heure où des instruments numériques permettent d’en faire des reconstitutions virtuelles d’une précision inédite ? Quels choix de reconstitution ou de restauration adopter, face à ces destructions, à un moment où la reproductibilité virtuelle et même matérielle des monuments peut atteindre des degrés de précision inédits.
Enfin, la mémoire de ces ruines extrêmes doit être interrogée. Celle qui est visée dans ces destructions, indissociable des communautés qui leurs sont rattachées dans l’esprit de ceux qui les perpétuent. Celle de l’acte même de destruction, qui est forcément porteur de sens et qui fera partie intégrante du monument, dans son double statut matériel, fait de traces subsistantes, débris, poussière, et d’absence, ruine immatérielle ayant existé et ne subsistant plus que comme un souvenir avec quelques restes matériels infimes.
Talks:
- Philippe CINQUINI - La possibilité d’une ruine : palais, marbres et antiques en Chine, entre exhibition et escamotage
- João G. RIZEK - The Peripherical Ruin: Potentialities and Impossibilities of a Critical Model
- Aysegül DINCCAG KAHVECI - Walking among Ruins with Barba Nikos: Rethinking the role of Ruins in Heritage-making
- Maykson CARDOSO - Walter Benjamin, from the ruins of the past to the rubble of the present