Matière et forme. Retour sur la théorie de l’hylémorphisme dans la théorie des arts au premier âge moderne
Cette session propose d’interroger la place de la théorie de l’hylémorphisme dans la pensée de l’art au premier âge moderne. Cette théorie aristotélicienne considère tout objet physique comme un composé de forme et de matière, la forme étant à la fois ce qui organise la matière et l’oriente vers sa fin. Chez les êtres vivants, la matière est identifiée au corps et la forme à l’âme. Pour les artefacts, la forme introduite dans la matière est identifiée à la ressemblance à la figure représentée et/ou au modèle qui se trouve dans l’esprit de l’artisan/artiste.
En tirant parti de l’attention accrue portée, ces dernières années, à la présence de la philosophie aristotélicienne dans les théories des arts à la Renaissance et à l’âge baroque, c’est cette dernière dimension ou application qu’on souhaite explorer. Tout en soulignant que les termes de « forme » et de « matière », omniprésents dans la littérature artistique de ces époques, n’ont pas forcément de connotation philosophique, il s’agira ici de mettre en évidence les références explicites comme implicites à la théorie péripatéticienne de l’hylémorphisme et, plus encore, à toutes ses déclinaisons et dérivations scolastiques, qui peuvent toucher d’autres champs comme ceux de la théologie. Il s’agira également d’envisager la façon dont le duo forme-matière se double d’un duo âme- corps, tel qu’il s’exprime notamment, mais de façon très prégnante, dans la littérature symbolique du premier âge moderne. Ainsi, dans les genres composés de la devise et de l’emblème, l’image est souvent désignée comme en étant le « corps » ou la « matière », tandis que l’« âme » ou la « forme » est assimilée tantôt aux paroles qui déterminent et fixent le sens, tantôt au sens lui-même ou à l’intention de l’auteur.
Du côté des théories de l’art, il convient de reconsidérer l’occultation de la matière sous le primat de la forme, occultation participant à l’anoblissement des arts. Etant donné qu’on peut parler d’une certaine indétermination – déjà présente chez Aristote – du concept de « forme » flottant entre trois acceptions (la forme comme ressemblance à un être ou à un objet ; la forme qui se trouve dans l’esprit de l’artiste ; la forme comme l’ensemble des contours d’une peinture ou d’une sculpture), il s’agira d’envisager les effets d’une telle indétermination sur les conceptions de la matière qui se dégagent, d’une certaine manière, en creux.
Il sera de même intéressant de considérer la façon dont l’assimilation du sujet d’une œuvre à sa matière va progressivement s’imposer, sans doute sous l’influence des poétiques. En retour, dans la mesure où l’un des exemples aristotéliciens illustrant la théorie hylémorphique est celui de la statue, il sera question aussi d’interroger la prégnance des modèles artistiques dans la pensée littéraire et philosophique de la matière, bien des poéticiens et des philosophes se tournant vers l’exemple des arts plastiques pour déterminer ce que seraient la matière et la forme.
Interventions :
- Michael WATERS - Alberti, Hylomorphism, and Fifteenth-Century Architectural Practice
- Marie SCHIELE - Dire comment les choses inanimées se meuvent. Hylémorphisme et pensée de l’ornement chez Alberti.
- Thomas GOLSENNE - Préhistoire du bricolage. L'invention de la mosaïque selon Leon Battista Alberti
- Aline SMEESTERS - Hiérarchies de la forme et de la matière dans les jugements de qualité portés sur les objets d’art aux 15e, 16e et 17e siècles
- David ZAGOURY - Vers l’obscurité de la matière: l’informe dans l’art rustique (XVIème siècle)
- Mathilde MARÈS - Fonctions et usages de l’hylémorphique dans les traités d’art du cinquecento italien / Mise en scène hylémorphique du Paragone ?