Visite guidée du stade et du quartier Art Déco de Bordeaux Lescure
Un stade de style international et un quartier avec 115 maisons Art Déco. Nos visites permettent de découvrir les deux styles architecturaux nouveaux du début du XXe siècle.
L'ensemble des 18 derniers hectares des terres agricoles du château Lescure, toujours présent, ont été vendus pour faire un lotissement de 600 maisons. La moitié de ces terres ne pourront être construites en raison du passage du ruisseau, le Peugue, en plein milieu, sujet à des crues régulières.
Ces terres non constructibles vont être dévolues au sport et plutôt au cyclisme, sport le plus populaire vers 1920/1930. Un premier vélodrome va y être créé en 1924, qui fera faillite en 1930. La ville rebatit un deuxième et immense stade polyvalent avec un vélodrome de 400 mètres, une piste d'athlétisme et au centre un terrain de sports collectifs, plutôt rugby à l'époque. En plein milieu de la période hygiéniste, les mairies rivalisent pour construire de vastes ensembles sportifs : stades, piscines, bains-douches.
Lescure est la participation monumentale de la ville de Bordeaux à cette obligation de favoriser le sport. Par le hasard d'un trajet ferroviaire, ce grand projet va être confié à un architecte bordelais pas banal du tout.
Notre homme, Raoul Jourde (1889-1959) est un architecte acquis au mouvement moderniste qui remplace la pierre par le béton. Il a été formé dans l'atelier des frères Perret, introducteur des bâtiments en béton à Paris (1902), puis chez Joseph Hoffmann constructeur autrichien du palais Stocklet à Bruxelles (1908), puis Léon Azema, architecte français de l'actuel Palais de Chaillot. Raoul Jourde est donc un spécialiste de ce matériau nouveau : le béton, au moment où ses confrères construisent surtout en pierre.
En 1934 il va proposer à la ville un projet totalement nouveau : un stade tout en béton dont toutes les places seront protégées de la pluie par une légère voute en béton moulé. A l'époque on construisait des toits métalliques sur des tribunes qui obligeaient à des piliers de soutainement dans les tribunes, qui génaient la vue. Le béton n'était utilisé qu'en parpaing, comme une pierre pour monter un mur, la plasticité du béton liquide injectée dans des moules permettant d'autres formes qui étaient ignorées en France.
Et Jourde devra faire appel à une entreprise italienne camouflée sous le nom de "France colonies" et dirigée par le petit-fils de Garibaldi, pour réaliser ses nouveautés. Il va imaginer de cintrer en large et en long un mince voile de béton pour pouvoir réaliser un toit en porte-à-faux jusqu'à 22 mètres, protecteur de la pluie. C'est le voutain si caractéristique du stade de Bordeaux. La voute du toit ondule dans le ciel, elle semble voler dans le vide au-dessus des têtes. La vue est libre à 360°, sans le moindre pilier. Cet exploit technique est toujours saisissant quand on y entre aujourd'hui. C'est l'innovation dans l'usage des matériaux, l'innovation architecturale du voutain, et le rendu esthétique final qui ont convaincu, depuis 22 ans, des associations de quartiers, de demander son classement, d'empêcher sa destruction vers 2016, et qui viennent d'obtenir son inscription à l'inventaire des Monuments historiques.
Les deux stades bénéficient de cette protection, le stade de 1938 de Jourde, actuel stade de rugby de l'UBB. Et le stade annexe inauguré en 1941, et construit par l'architecte Jacques d'Welles, qui a repris les éléments architecturaux du grand stade : les arcades lombardes et les voutains. On vous expliquera sur place que le stade de Raoul Jourde, s'il a bien été construit pendant la période Art Déco, n'est pas du tout de style Art Déco. Il relève de l'autre style né à cette époque : le style international.
Pour le quartier d'habitation, sa construction fut problématique. 315 des lots (sur 600 initiaux) pourront être construits depuis 1920. Ce sont les futurs propriétaires qui choisissaient leur style de façade avec leur architecte ou maître-d'œuvre. Le lotissement va se construire sur 20 ans, en commençant par le haut (rue Frantz Despagnet, rue Descartes) et se terminera en bas par la rue et place des Cèdres. Les nouveaux propriétaires vont commencer à utiliser les deux styles anciens à la mode de Bordeaux : l'ecclectisme surtout (qui est le style prédominant à Bordeaux, apparu vers 1850, et qui mélange tous les styles en surchargeant des reliefs divers chaque m2 de façade) et un peu le style néo-classique (celui du XVIIIe siècle si admiré) avec quelques fleurs et rubans sur des façades plus plates et sobres que les ecclectiques.
C'est e 1927 qu'apparaît ici, au 7 rue Marceau, sous le crayon génial de Pierre-Henri Avinen, une première maison de style Art Déco, avec très peu de décoration ajoutée. Une seule frise très géométrisée et des volumes fonctionnels visibles (garage) qui animent la façade. Des fenêtres avec des formes inhabituelles : à pan coupé, et une ferronerie d'art sur mesure, complètent cette originalité. Au total 115 maisons de ce style vont être construites. Certaines avec une façade majestueuse, comme au 53 avenue du Parc de Lescure.
L'apparition de la voiture individuelle vers 1925/27 va bouleverser le plan des maisons pour ajouter un garage. Le style Art Déco va être bien assimilé par les bordelais et rencontrer un grand succès tant dans les batiments administratifs, les équipements sportifs (stade, piscine, bain-douches), que dans les maisons individuelles.
Des rues entières seront construites dans ce style (rue du Commandant Charcot). Pourtant l'autre style nouveau, voire révolutionnaire à cette époque, reste absent. Pas de maison de style international dans le quartier, il faudra attendre 1960 et le « 9 rue Marceau » où une belle maison de ce style sera construite.
Les architectes en revanche, suivent l'extension du mouvement international en France (Villa Noailles 1922, Cité Fruges 1924, villa Cavroix 1928, Villa Savoye 1930, Piscine Judaïque à Bordeaux 1934, bien plus près du style international qu'Art Déco, Villa Serusat à Bordeaux, 1934, trop transformée).
Le style Art Déco va lui même progressivement se rapprocher du style international, perdre sa décoration ajoutée, et devenir, vers 1935/40, le style Paquebot. On voit très bien cette évolution dans la rue et la place des Cèdres avec les deux maisons paquebot qui se font face. L'Art Déco a concerné tous les arts de l'époque : la peinture, l'architecture, mais aussi les arts dit mineurs : joallerie, mode, ébenisterie, céramique, art de la table, etc. Cette courte période à donc eu un rayonnement mondial avec une remarquable unité de style et la France en a été le moteur pour la dernière fois.
Le style Art Déco disparaît après 20 ans d'existence mais le style international est, lui, toujours vivant aujourd'hui, après un siècle d'existence. C'est le triomphe absolu du béton et ses possibilités plastiques sur la pierre.
A l'initiative des associations qui ont protégé le stade Lescure : Préservons le stade Lescure et le Collectif des Habitants, des visites du stade et du quartier seront organisées sur place. Une exposition sur le style International, sur le style Art Déco, sur Raoul Jourde, sur les actions de défenses et de protection locale menées par les associations sera proposée.
Bordeaux s'enorgueillit d'avoir protégé le plus beau stade français de la période hygiéniste, alors que très peu de monuments de cette période ont été conservés.
Les visites du stade et du quartier se complètent et pourront s'enchaîner.