Une balade découverte de la révolution architecturale du début du XXe siècle : style Art déco et style international
Notre quartier raconte l'histoire de l'apparition du béton et la disparition de toute la décoration ajoutée sur les maisons, d'où la réticence initiale des Bordelais, habitués à leur « ville de pierre » (et leur goût pour des styles anciens : voir nos nombreuses maisons éclectiques et même deux pastiches de chartreuses en... 1930 ! ). 1920, c'est la révolution stylistique, et la victoire finale du style international que permet la promenade dans le quartier.
Le quartier Lescure a été construit entre 1920 et 1940 sur des terres agricoles entourant le château Lescure, toujours présent. Les futurs propriétaires d'alors choisissaient le style de leur maison à venir. Les moins hardis optaient, en les recopiant encore et encore, les deux styles anciens : le style néoclassique du XVIIIe siècle, mais aussi surtout le style éclectique du XIXe siècle. Les plus téméraires choisissaient le style Art déco apparu vers 1915/1920, un style bien français (théâtre des Champs Élyséens 1913) qui va rayonner dans le monde pendant 20 ans. Ce style est une très belle évolution du style néoclassique.
L'Art déco va concerner toutes les manifestations artistiques : la mode, la joaillerie, la musique, la peinture, la musique, l'automobile, l'architecture, le mobilier, les arts de la table etc que l'exposition de 1925 à Paris va imposer au monde. « Quand l'Art déco séduit le monde ».
L'autre style nouveau de 1920 est le style international qui est en fait la seule véritable révolution : on utilise le seul béton que l'on peut mouler dans des formes impossibles à obtenir en pierre. Avec aussi un rejet total de la décoration ajoutée (« crime et décoration » A. Loos, 1909). Ce style est né en Europe centrale, déjà avec la Sécession autrichienne vers 1900, surtout avec le Bauhaus vers 1920, donc un style étranger pour les Bordelais de 1920. Certains architectes voyageaient : Le Corbusier était à Berlin en 1911, la même année Raoul Jourde – l'architecte de notre stade - était en stage, à Vienne, chez Joseph Hoffmann (le créateur du palais Stocklet à Bruxelles avec un des « baisers » de Klimt). Ils y découvraient les possibilités immenses du béton, la rapidité de la construction et son application facile dans l'hygiénisme débutant (la tuberculose faisait des ravages).
Les maisons de l'époque devaient être claires, ensoleillées avec tout le confort moderne : salle de bain, toilettes dans chaque logement et reliées à un égout ce qui est important, cuisine avec l'eau et le gaz, maison sèche (vide sanitaire depuis la loi Loucheur 1928, détail si important à Bordeaux proche du niveau de la mer).
Le stade est très innovant avec ses voutes couvrantes sans piliers dans les tribunes utilisant le béton liquide coulé dans des coffrages aux limites techniques de l'époque. Coffrer du béton liquide est banal aujourd'hui, mais pas en 1934. Aucune entreprise française ne savait faire cela : il a été fait appel, pour la construction, à une entreprise italienne. Avec une volonté permanente du rendu esthétique final : le béton n'est pas brut de décoffrage ici, il est lissé en surface et est resté depuis 91 ans clair, sans la grisaille habituelle du béton vieillissant. « Mon béton est plus beau que leur pierre » : cette affirmation est particulièrement vraie à Lescure. C'est pourquoi ce stade suscite l'admiration de beaucoup dont les associations de riverains et d'amateur éclairés. Associations qui l'ont protégé vigoureusement en 2014 et 2016 des destructions envisagées par son propriétaire : la mairie de Bordeaux. Son destin est protégé depuis son inscription à l'inventaire des Monuments historiques en octobre 2022 avec l'amusant commentaire « du plus pur style Art déco » pour un monument du plus pur style international. On ne peut pas demander aux rédacteurs préfectoraux d'être des historiens d'Art !
Les architectes ou les entrepreneurs qui construisent ici aménagent également les intérieurs. Ils continuent à utiliser les carreaux de ciments à la place des carrelages en actualisant les motifs. Ils utilisent de très larges fenêtres en corbeille ou à pans coupés faisant entrer le soleil.
Les intérieurs lumineux utilisent encore, au plafond, du staff à motifs Art déco (palmettes par exemple). Le parquet est clair. Les garages apparaissent vers 1927 dans le quartier et cela bouleverse le plan masse des maisons puisque le rez-de-chaussée avec ses pièces à vivre doivent faire la place d'un garage. À partir de cette époque, les maisons ont toutes les caractéristiques que nous leur demandons toujours aujourd'hui pour vivre. Même les HLM (= les HBM) sont développés alors. Le béton permettant à bien moindre coût de construire des maisons avec appartements. Le logement social, préoccupation majeure des architectes du style international, est aussi présent dans le quartier avec l'étonnant lotissement syndical des TEOB (= les transports en commun de l'époque) avec sa vingtaine de maisons individuelles ouvrières avec confort, préfabriquées en ciment dès 1922.
Le succès temporaire du nouveau style français Art déco (115 maisons ici) va évoluer dans le temps en perdant sa décoration, d'où le style paquebot vers 1935 (quatre maisons). Le style paquebot et le style international vont alors fusionner. Le style révolutionnaire international (une seule maison ici) n'a pas rencontré un grand succès vers 1930. C'est pourtant ce style international qui va renaitre après la Seconde Guerre mondiale, avec de nombreuses variantes et qui est encore le style de notre époque, un siècle après sa création.