Conférence : Le travail de la mémoire chez Platon et Épicure
Dans le cadre du cycle "Penser le temps".
Par Dimitri El Murr, professeur au Département de philosophie de l’École Normale Supérieure - PSL, spécialiste de philosophie antique.
« Mon enfance, laquelle n’est plus, est dans le temps passé qui n’est plus aussi. Mais lorsque je m’en souviens, et que j’en raconte quelque chose, c’est sans doute dans le temps présent que je considère son image, parce qu’elle est encore dans ma mémoire. » (Saint Augustin, Confessions, XI, 18, trad. Arnaud d’Andilly). Par cette remarque limpide, Augustin rend compte de deux caractéristiques évidentes de la mémoire en tant que faculté humaine. Premièrement, la mémoire n’est pas le passé, mais elle est, pour nous, le présent du passé. Deuxièmement, il faut distinguer, d’un côté, la chose ou l’événement qui constitue le référent du souvenir, ce à quoi ce souvenir renvoie, et de l’autre, l’image ou le signe qui est dans la mémoire. Ces deux différences, entre le passé (objectif) et le présent (subjectif) du passé dans le souvenir, d’une part, et entre la chose ou l’événement (référent) et sa présentation (signe) dans la mémoire d’autre part, ouvrent un espace dans lequel la mémoire peut devenir plus qu’une faculté passive, plus qu’un simple pouvoir de présenter le passé, où elle peut, au contraire, s’exercer et par là viser la vérité. C’est cette dimension particulière de la mémoire, ou plutôt de la bonne mémoire, qu’il s’agira d’explorer à partir des analyses qu’en ont données deux philosophes que presque tout oppose : Platon et Épicure.