Murs de Fresnes - Sortie de résidence
Murs de Fresnes est un projet transmedia qui part du livre d’Henri Calet, Les murs de Fresnes, publié en 1945, rassemblant les graffitis laissés par les détenus sur les murs des cellules de la prison de Fresnes pendant l’Occupation. Haut lieu d’enfermement de la Résistance, prison de la Gestapo, Fresnes a souvent été la dernière destination avant la déportation ou l’exécution. Grâce à la mise en jeu de nouveaux médias, la création d’univers virtuels et la participation du public — de lecture en scène augmentée — le projet se propose de faire parler les murs et redonner vie aux fantômes. Le projet décline un site web détaillé, une expérience immersive sur le web, une séquence VR, un spectacle interactif et un carnet au contenu génératif, chaque proposition est liée aux autres (par un serveur web) tout en offrant une approche artistique différente et complémentaire.
À l’issue de la guerre, Calet, auteur et journaliste, dans Les murs de Fresnes, compile, commandité par le Ministère des déportés et des prisonniers de guerre, un relevé des graffitis laissés par les détenus sur les murs de la prison. La requête, qui peut paraître particulière, répond à l’absence de toutes pièces administratives relatives à la gestion allemande de la prison pendant l’Occupation, mettant l’État français et de nombreuses familles dans l’embarras pour retrouver les disparus. On cherche des traces, peu importe lesquelles.
Le livre inclassable de Calet, autant par son contenu que par sa forme, plonge le lecteur dans une investigation mnésique. L’auteur invite le lecteur à visiter la prison de Fresnes. Il l’attend à la sortie de la ville, le fait passer par la grande grille de l’entrée, puis pénétrer à l’intérieur de l’énorme établissement. Témoin subjectif de son temps, non sans un humour acerbe, Calet confie au lecteur ses impressions : « Des milliers de Français — les meilleurs — des étrangers aussi, sont passés à Fresnes durant l’occupation. Singulière époque où les héros étaient emprisonnés. » De façon systématique, cellule après cellule, cachot après cachot, en passant par l’infirmerie, il dresse un inventaire singulier, accompagné de commentaires. Il décline les inscriptions laissées sur les murs en 1945 par des détenus français ou étrangers, en attente d’être jugés, envoyés en camp ou bien exécutés. Gravés dans le plâtre des murs, le bois du mobilier pénitentiaire, l’aluminium des gamelles, inscrits sur les pages d’un livre, ces « tags » livrent des noms, des dates, parfois des adresses et des numéros de téléphones… des confessions, des adieux, des testaments, des journaux, des déclarations d’amour, des questionnements, des dessins et des poèmes. Ces « morceaux de vie » arrachés aux murs ont la force d’évocation et la concision des haïkus. Tracés à la mine, avec une pointe ou un objet, du bout des ongles ou avec du sang, ils racontent la France occupée : la délation, la détresse de l’enfermement, la torture, l’angoisse avant l’exécution ou la déportation. Souvent sans destinataire, ils témoignent pour ceux qui leur succèdent. Des traces pour que l’Histoire se souvienne et que justice soit rendue comme des actes ultimes de résistance.
Peu après la sortie des Murs de Fresnes, Calet s’inquiète du sort de ceux qui ont marqué les murs. « Je suis parti en quête de survivants de Fresnes. D’abord, j’ai refait la visite de la prison, cellule par cellule. Et j’ai relevé la dernière trace de ceux qui avaient laissé un nom, et aussi une adresse dans la chaux d’un mur, au moyen d’une épingle, d’un clou ou de l’ongle. La plupart sont morts. Je le sais. Il faudrait les chercher dans les parages de Ravensbrück ou de Dachau, là où se trouvent les grands charniers. A quoi bon les déranger ? Ils n’ont plus rien à dire. Il ne reste même plus une pincée de leurs cendres : elles ont volé au vent. Rien. Mais les autres ? Les rescapés, que sont-ils devenus ? J’aurais voulu voir quelques-uns des personnages de cette grande et longue tragédie. »
Il mène l’enquête, part à la rencontre des vivants ou de leurs proches à Paris et en banlieue et en retrouve certains. Il publie le fruit de ses recherches sous forme de feuilletons dans France Soir, Combat, Hommes et Monde, Évidences. Ces reportages, aux noms évocateurs (« Les survivants de Fresnes », « L’hôtel des revenantes », « Ne les oublions pas encore »), seront rassemblés ultérieurement dans le livre, Contre l’oubli, publié post mortem.
Qui sont les auteurs des graffitis ? Pourquoi ont-ils été arrêtés et envoyés à Fresnes ? Quels sont leurs destins ultérieurs ? À l’heure où les derniers témoins ont presque tous disparus, comment rendre mémoire à des noms sur des murs ? En cherchant méthodiquement, grâce à Internet et les nombreux sites consacrés à la Résistance, il est possible d’identifier une quarantaine d’entre eux. Des parutions et des vidéos témoignent aussi d’incarcérations à Fresnes. Des figures célèbres y sont passées : Germaine Tillion, Honoré d’Estiennes d’Orves, Robert Desnos, Guy Moquet, Robert Vildé, André Lassagne, Huguette Prunier, Bertie Albrecht, Missak Manouchian, Marie-José Chombart de Lauwe, Geneviève de Gaulle...