Au départ de Chimère, il y a une expérience intime : celle du parcours pour avoir un enfant. Un chemin long, complexe, parfois douloureux — celui de la PMA — que j’ai moi-même traversé. Ce parcours m’a fait ressentir, dans ma chair, ce qu’est véritablement le mot création. Et le mot désir. Ce que c’est de vouloir sans pouvoir. De rêver de devenir parent, sans y parvenir. Dans Chimère, nous suivons Stella et Neven à travers les protocoles médicaux, les rendez-vous, les attentes, les espoirs qui montent, les chutes qui blessent. Stella doute, vacille. Elle se convainc d’être "abîmée", de porter une malédiction. Elle croit que si elle ne devient pas mère, c’est qu’elle ne le mérite pas. Que son féminin est défaillant. Et peut-être… que c’est mieux comme ça. Et puis, un jour, contre toute attente : la vie. Une grossesse. Un bébé qui "les a choisis", comme le dit Stella. Un miracle discret, inattendu. Une petite fille naît. Et l’amour, immense, arrive comme une vague.
Pour raconter cette histoire, j’ai choisi la forme du conte. Une distance poétique, un prisme fantaisiste, pour sublimer le réel sans l’édulcorer. Stella y est confrontée à une Bonne Fée pas tout à fait bienveillante, une fée grinçante, drôle et provocante. Celle-ci incarne la petite voix intérieure de Stella, celle qui doute, qui questionne, qui ironise : "Est-ce que tu es vraiment prête à ça ? Pourquoi vouloir un enfant alors que tu pourrais aller danser au bal ?" Cette fée fantasque permet de faire exister les conflits intérieurs de Stella de manière ludique et visuelle. Elle donne au spectacle sa tonalité décalée, son humour, sa théâtralité. Comme dans mes précédents spectacles (Lalalangue, Le Grand Jour), l’humour est un fil rouge essentiel. Un humour qui désamorce, qui libère, qui permet de dire l’intime sans pathos. Une manière d’aborder des sujets lourds avec légèreté, sans jamais les trahir. L’humour comme une arme douce, une stratégie de survie, une forme de poésie. À travers Chimère, je veux parler de ce que beaucoup vivent encore en silence : les parcours du désir d’enfant, les injonctions, la culpabilité, la solitude. Mais je veux aussi parler d’amour, de résilience, de vie. Et surtout, je veux offrir un spectacle vivant, drôle, émouvant, qui touche et qui rassemble. Chimère est une traversée. Un conte contemporain, intime et universel. Un spectacle sur la maternité, mais surtout sur le désir, la transformation, et cette force mystérieuse qui nous pousse à créer, envers et contre tout.
Dans Chimère, il est question de création. Non seulement de la création d’un enfant, mais aussi de la création d’un monde nouveau, d’une transformation radicale. Le parcours de Stella et Neven nous plonge dans cette dynamique de création au sens large, où tout est question de mutation, de métamorphose. Le personnage de Neven, scientifique passionné d’astronomie, incarne cette vision fascinée de l’univers. Pour lui, l'idée même de créer un enfant semble être de la science-fiction. Il est émerveillé par le mystère de l’apparition de la vie sur Terre, tout autant que par l'infinité de l’espace. À travers lui, nous voyagerons dans les étoiles, nous nous perdrons dans les nébuleuses, et il nous rappellera que nous sommes poussière d’étoiles. C’est dans cet imaginaire, riche et vaste, qu’il parle de Stella, qu’il décrit comme "ronde comme une planète ».
Devenir parent, c’est aussi une autre forme de création : un processus où l’on devient autre, où l’on se métamorphose. Le professeur de psychologie Sylvain Missonnier, spécialiste de la périnatalité, parle de la gestation comme une période de métamorphose, où la mère devient une nouvelle version d’elle-même, où le père aussi traverse une transformation. Ce qui commence comme un projet de reproduction de soi se transforme en un accueil d’un être humain à part entière, différent, unique, qui tracera son propre chemin.
Dans la mise en scène, cette idée de transformation sera au cœur de notre travail. Le passage de l’intime à l’universel se fera par des transitions visuelles et poétiques, des images fortes, des déplacements dans l’espace scénique. La scène sera un terrain de jeu où le réel et le fantastique se côtoieront. Nous utiliserons des éléments de décor et de lumière pour passer de l’astronomie à la terre, de l’immensité de l’univers à la singularité du corps humain. Des projections lumineuses, des éléments sculpturaux et des jeux de perspective évoqueront à la fois l’immensité de l’espace et la profondeur des transformations intérieures. Une mise en scène visuelle, poétique et émotive, qui dialoguera avec le texte et les performances des acteurs pour inviter le public à une immersion totale dans cette aventure humaine et cosmique.
Comme métaphore centrale de cette métamorphose, l’histoire sera jalonnée de rencontres avec les Professeurs Albert, un couple de chercheurs exubérants, passionnés et débordants d’enthousiasme. Ces personnages nous introduiront à un concept fascinant : le microchimérisme. Ce phénomène scientifique, qui bouleverse les certitudes de la biologie, désigne la présence de cellules issues d'un autre individu dans le corps d'un être vivant. Ce qui nous intéresse ici, c'est le microchimérisme pendant la grossesse : les échanges cellulaires entre la mère et son fœtus, un processus invisible mais profondément transformateur : après avoir porté un enfant, la mère n'est plus jamais tout à fait la même ; elle a été "modifiée" par l’enfant à naître, ses cellules ayant migré dans certains de ses organes, parfois même pour les soigner. Ce phénomène pose une question vertigineuse : comment sommes-nous tous interconnectés, au-delà du visible, à travers le temps et l’espace ? Chaque mère porte désormais en elle les traces cellulaires de son enfant, et l’enfant lui-même, à son tour, porte des cellules maternelles, des cellules qui peuvent remonter à travers des générations et des millénaires.
Les Professeurs Albert, dans leur enthousiasme joyeux et leur capacité à rendre la science fascinante, ouvriront des fenêtres poétiques sur ce mystère. Leur rôle ne sera pas seulement de fournir des explications scientifiques, mais aussi de faire résonner ce mystère de la vie dans une dynamique collective, de mettre en lumière les liens invisibles qui unissent tous les êtres, à travers les siècles et les corps.
Ainsi, le microchimérisme devient une métaphore de la création : tout comme la grossesse crée un nouvel être humain, elle crée aussi une connexion profonde et durable, une transformation qui traverse et traverse à nouveau. Cette notion de "fusion" entre la mère et l’enfant, mais aussi entre toutes les générations passées et futures, ouvrira sur un autre grand thème du spectacle : la résonance entre l’histoire personnelle de chaque personnage et l’histoire universelle de l’humanité. Dans Chimère, cette exploration scientifique se marie harmonieusement avec une dimension poétique et intime, et nous révèle que la poésie est partout : dans une aventure personnelle, dans une aventure scientifique, dans les étoiles comme dans notre corps. L’histoire individuelle de Stella et Neven se fait écho de l’histoire collective de l’humanité, des générations qui se succèdent, des êtres qui se nourrissent les uns des autres, invisiblement mais inexorablement. La mise en scène permettra ainsi de montrer cette rencontre entre l’intime et l’universel, entre le corps et l’esprit, entre la science et la poésie. C’est un voyage fascinant, à la fois intime et cosmique, où chaque création, chaque métamorphose, porte en elle un vertige, un mystère fondamental : celui de la vie elle-même. Mystère que même les plus grands scientifiques n’ont pas encore résolu. Certaines questions resteront peut-être pour toujours en suspens, et nous devons vivre avec ces inconnues, ces espaces vides, ces interrogations.
Pour accueillir cette pièce, la forme du cercle s'est imposée naturellement. Elle évoque le ventre maternel, le cycle de la vie, mais aussi l'immensité des planètes et l'infinité de l'univers. Le cercle devient ainsi le lieu de toutes les métamorphoses, le centre autour duquel tout gravite.
L’histoire se déroulera sur un disque gris central de 2,5 mètres de diamètre. Un espace minimaliste mais chargé de sens. Ce choix de l'épure nous permet d’aller à l’essentiel : le conte, la poésie, et la force des acteurs et actrices. Ce cercle, à la fois espace physique et symbolique, sera celui où Stella restera essentiellement ancrée, comme la planète centrale, tandis que les autres personnages, portés par leurs trajectoires, orbiteront autour d'elle, offrant à la scène une dynamique fluide et vivante. Et autour d’elle, à l’extérieur du cercle, le vide spatial, l’inconnu, le froid de l’environnement hospitalier dans lequel elle ne s’aventure pas.
La lumière sera l'un des personnages principaux de cette mise en scène. Elle dessinera les différents univers et les changements de temporalité. Elle servira à isoler certains personnages, à sculpter les ellipses, à créer des espaces d'intimité et de tension. Les transitions entre les mondes seront mises en lumière grâce à des jeux d’éclairage enchanteurs : la Bonne Fée fera son apparition comme par magie, surgissant de nulle part. Les autres personnages viendront brouiller les pistes en émergent de toutes parts, renforçant ainsi le caractère irréel de notre histoire. Chaque univers se verra attribuer sa propre couleur lumineuse : l’univers du conte, l’univers hospitalier, les échanges avec les chercheurs, et bien sûr, les étoiles. Le dessin des lumières rappellera les formes de géométrie sacrée, et elles se tiendront dans une aire circulaire également, autour du disque central, créant un cercle autour du cercle. Le régisseur lumière sera sur scène, au cœur du spectacle, sur un petit disque roulant en périphérie du disque central.
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