Entretien d'Issy : Cinéma et (ré)invention du monde
Par Tania Sanchez, agrégée de philosophie
Jueves 16 octubre, 20:00Pasado

Cette saison porte sur le thème « Imaginez » et vous invite à voir comment elle nourrit la Littérature, la sociologie, les arts visuels… Tania Sanchez, philosophe, vient évoquer le 7e art et vous propose un voyage philosophique et cinématographique au cœur de l’œuvre de David Lynch et de celle d’Alfred Hitchcock.
Point d'appui: En quoi les films de Lynch et Hitchcock nous invitent-ils à réinventer notre perception du réel ?
Tania Sanchez : Les films de David Lynch et d’Alfred Hitchcock ont pour décor des lieux familiers plutôt que fantastiques : la maison, la voiture, le café… On y voit des hommes et des femmes ordinaires vivre des expériences inattendues, à l’image de Jeff (James Stewart), dans Fenêtre sur cour, qui découvre un crime sans devoir sortir de son appartement. Si le réel nous paraît ordinaire, n’est-ce pas parce que nous nous attendons à ce qu’il le soit ?
Pd'A : Peut-on dire que le spectateur « imagine » autant qu’il « regarde » un film ?
TS : On pense habituellement aux films comme nous privant de notre imaginaire, quand les livres, eux, nous laisseraient plus librement inventer des personnages et des espaces. Or les expressions du visage des acteurs ne nous donnent pas un accès immédiat à la voix intérieure des personnages : s’ils mentent, ils doivent le cacher pour les autres personnages. Nous sommes obligés de projeter sur eux des intentions, de même que nous comblons par l’imagination les ellipses de l’intrigue. Les images du film se mêlent à nos souvenirs, à nos pensées, en même temps qu’elles se succèdent sous nos yeux.
Pd'A : Pourquoi le monstrueux et le merveilleux surgissent-ils si souvent de situations banales dans ces œuvres ?
TS : Voir un film de David Lynch, c’est peut-être une façon de se souvenir que monstrueux et merveilleux sont toujours là, mais que les besoins pratiques nous les rendent invisibles au quotidien. En permanence, comme dans la scène d’ouverture de Blue Velvet, les insectes grouillent sous nos pieds. La vie n’est ordinaire que parce que nous ne voyons que la surface des choses.
Pd'A: Comment votre travail sur la philosophie de la vie quotidienne éclaire-t-il votre lecture du cinéma ?
TS : Dans les scènes de la vie ordinaire au cinéma se jouent des questions à portée philosophique : choisit-on qui l’on est ? Doit-on juger les actes ou les intentions ? Au-delà de l’intrigue, l’image parle : elle suscite un questionnement en première personne – qu’aurais-je fait à la place du personnage ? – mais aussi une réflexion sur nos valeurs – pourquoi aurais-je choisi d’agir ainsi ?
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