Elida Almeida au Pan Piper le 11 février 2023 !
La Capverdienne Elida Almeida revient avec un quatrième disque, Gerasonobu, dans lequel elle confirme son statut de chef de file de la nouvelle génération de musiciens au Cap-Vert.
À 27 ans, Elida Almeida se dresse déjà, avec son sourire de miel et son énergie solaire, aussi juvénile que mâture, comme l’égérie de la nouvelle génération musicale du Cap-Vert. Ce statut, elle le déploie tel un étendard et l’inscrit au fronton de son nouveau disque, intitulé Gerasonobu (« Nouvelle génération » en créole cap-verdien). Car, avec d’autres comparses musiciens, la jeune femme, aux racines implantées sur l’île de Santiago, contribue à exploser les codes de la musique du Cap-Vert : cette tradition qu’illumine la figure tutélaire de Cesaria Evora, jalousement surveillée par de soi-disant « experts », qui grognent dès que l’on effectue un pas (de danse) hors de l’orthodoxie. Pourtant, s’insurge Elida : « Même les créations de Cesaria se distinguent des morceaux ‘traditionnels’. La musique de mon archipel de marins, ouvert à tous vents, perméable à toutes les influences, tous les métissages, se définit justement par son évolution permanente… »
Ainsi, à l’inverse de son dernier disque, qui emprunte son nom, Kebrada, à son village natal, et s’ancre sur le petit bout de terre sans électricité qui l’a vue grandir, elle parcourt aujourd’hui le monde, toutes antennes dehors pour nourrir ses pistes nouvellement tracées. Dans ses bagages ? Les chansons capverdiennes qui berçaient ses premières années, à la radio. Les titres vagabonds de Gerasonobu, furent ainsi composés aux quatre coins de la planète, lors de tournées, dans le rêve semi-éveillé d’un voyage en avion, à Lisbonne où elle réside, ou encore à Abidjan… « A chaque fois, mes créations, au coeur capverdien, se sont imprégnés des vibrations, des musiques des territoires dans lesquelles je les ai écrites », sourit-elle.
Par ailleurs, pour conférer à ses chansons une texture davantage « urbaine », Elida s’est entourée de son fidèle complice, le mutiinstrumentiste et producteur capverdien Hernani Almeida, mais aussi du DJ, producteur et musicien, héros de la nouvelle garde du Kenya, Blinky Bill.
Sur ses titres, autant d’appels aux danses chaloupées, autant de poésies au tempérament bien trempé, Elida raconte ses pairs, sa génération, et se livre aussi, elle-même. Ainsi, dans Amizadi Novu, elle se moque gentiment de la génération 2000, des amitiés superficielles nouées sur les réseaux sociaux, des attitudes futiles produites par Instagram ou Snapchat. Dans Sai Bu Sai, elle dénonce avec la plus grande fermeté les violences conjugales, subies par les femmes qui meurent chaque jour sous les coups… Dans Tolobaska, parcouru du battement d’un coeur couleurs électro, elle chante l’amour profond, si naturel, que deux âmes éprouvent lors d’un coup de foudre. Dans Mudjei, elle honore toutes les femmes de son pays : celles qui vendent les poissons sur les marchés, mais aussi les secrétaires, les juristes, les pilotes…
Et puis, Elida se fait plus intime, et plonge dans son histoire personnelle, qui résonne avec l’humanité entière. Ainsi, dans Nha Bilida, sur les beats électro-afro de Blinky Bill, elle parle de son enfant, né alors qu’elle n’avait que 16 ans : « Pour moi, être enceinte si jeune, c’était la panique ! Dans ce titre, je raconte à mon fils que j’avais peur de le toucher… Il était si petit, si fragile ! Mais quand je m’allongeais à ses côtés, il était tellement calme…Je me sentais protégée. Son soupir, son battement de coeur m’endormaient paisiblement. »
Enfin, dans la si douce et si mélancolique coladera, Obrigadu Papa, elle rend hommage à son père, disparu trop tôt, pour ses huit ans. « Là encore, j’ai créé cette chanson dans un avion, dit-elle. Quand j’ai commencé à l’écrire, je me suis mise à pleurer… Jusqu’au point final. Dans ce titre, je parle du jour où des gens m’ont appris son décès. Je voulais surtout lui dire que mes frères, soeurs et moi, avions grandi… Je ne sais pas s’il aurait été fier de nous, mais je le remercie de nous avoir donné la vie… »
Et puis, sur toutes ses pistes, Elida honore, danse et chante son petit pays, à travers la célébration joyeuse et magique de tous ses rythmes, de ses figures et de ses mythes. Ainsi, Gerasonobu, intégralement en créole cap-verdien, la langue qu’elle porte comme un trésor, s’ouvre sur Bidibido, une “tabanca” de Santiago, ce genre musical de fête, aujourd’hui quasi disparu. Avec son aisance joyeuse, elle revisite le style et convoque le « Bidibido », ce personnage du folklore, dépenaillé et repoussant, qui débarquait lors de Cinza, le mercredi des cendres, un jour de Carême au goût de miel de canne et de couscous, pour terroriser les enfants, avant de rigoler avec eux…
Enfin, elle livre un funana explosif, le style né dans son village, avec Mundu Kabu Kaba, une reprise de ses idoles, les chantres du funana moderne, Bulimumdo. « Je lui donne une nouvelle couleur, grâce aux arrangements contemporains d’Hernani Almeida », précise-t-elle, fière de s’inscrire dans cet héritage.
En 2015, le premier tube de la chanteuse s’intitulait Nta Konsigui, « Je réussirai ». Cinq ans après, Elida peut affirmer avoir réalisé sa prophétie, et un bon bout de chemin, en apportant sa pierre à l’édifice de la musique capverdienne. Surtout, elle garde encore vive, dans son coeur et dans son art, l’essence de la petite fille qu’elle fut, dansant et chantant dans son village, avec un amour fou pour la musique et le pouls de sa terre. Comme une métaphore de son archipel, une incarnation du temps présent, un emblème de sa génération.
Texte d’Anne-Laure Lemancel